A 43 ans, Philippe était responsable des achats dans la grande distribution depuis plus de 15 ans et son activité professionnelle ne lui procurait que peu de satisfactions. Les relations entre la chaîne de magasins qui l’employait et ses fournisseurs étaient très conflictuelles et la plupart du temps, il était obligé d’adopter un comportement qui ne correspondait pas du tout à sa nature. Il aurait voulu passer des accords justes et durables mais il avait souvent affaire à des fournisseurs qui ne jouaient pas le jeu, et ceci d’autant moins que ses patrons l’empêchaient de respecter ses engagements en le poussant à renégocier sans cesse de nouveaux avantages. Les conflits avec sa hiérarchie étaient fréquents, souvent violents, rarement productifs et toujours injustifiés. Il se rebellait parfois mais cela le rendait malade et ne réglait rien. Trop souvent déconnecté de ses valeurs, il finissait par ne plus savoir comment se comporter dans l’adversité. Il se sentait sans cesse remis en question dans ses choix et ses compétences. Il avait des compensations, bien-sûr, mais les avantages que ses revenus lui procuraient ne suffisaient plus à atténuer ses frustrations.
La sensation désagréable de ne pas être à sa place minait progressivement sa confiance en lui et, alors qu’il avait un « fort potentiel », il hésitait à changer d’orientation, de peur de se tromper, d’échouer et de ne plus retrouver de travail. Il ne voyait d’ailleurs plus très bien ce qu’il était capable de faire. Manque de confiance et peur de l’avenir le maintenaient dans une situation pénible qui le faisait souffrir plus qu’il n’en avait conscience. Et pourtant, son organisme lui envoyait des signaux très clairs : insomnie, crise d'angoisse, irritabilité.
Lors de notre première rencontre, je demandai à Philippe qui il voulait être. Je ne me lasse pas de constater combien il est difficile de répondre à cette question. Philippe ne fit pas exception. Nous passâmes une heure à définir son profil psychologique.
Philippe était un homme qui avait un grand sens des responsabilités. Il était né pour prendre en charge les gens avec lesquels il cheminait, professionnellement et dans sa vie privée. Il prenait plaisir à apporter protection, bien-être et harmonie. Il aimait accueillir, encourager et conseiller. Il avait par ailleurs une forte capacité à exprimer, transmettre et partager ses valeurs. Il était exubérant, communicatif, démonstratif. Il fonctionnait bien dans la convivialité avec une grande ouverture au monde, aux autres et un idéal de vie élevé, altruiste.
Comme cela arrive très souvent, ce potentiel avait été contrarié mais nous n’entrâmes pas dans ces considérations, ma prestation n’étant pas celle d’un psychothérapeute. Son défi était de réduire le décalage entre sa nature profonde et sa situation professionnelle.
A la fin de notre échange, Philippe décida d’être lui-même dans tous les compartiments de sa vie, c'est-à-dire : responsable, protecteur, altruiste, et désireux d’apporter son soutien pour aider les autres à grandir. Il choisit d'être "protecteur" mais comment vaincre la peur, comment se faire suffisamment confiance ?
Suivant mon conseil, il se mit à vérifier que ses comportements l’aidaient à devenir de plus en plus cette personne. En s’observant systématiquement, il modifia sa façon d’être par touches successives. Sa façon de négocier avec ses fournisseurs dans l’intérêt de son entreprise mais sans sacrifier ses valeurs, sa posture plus calme et résolue face à ses patrons et collaborateurs. Certaines décisions furent plus difficiles que d’autres mais il sentit un changement immédiat, lié à sa décision « d’être » qui lui rendait sa liberté. Pour être cette personne, il n’avait besoin ni d’argent, ni d’un autre job, ni de l’approbation de quiconque.
Nous fîmes le point au téléphone une fois par mois pendant six mois. J’étais l’observateur qui lui permettait de mesurer le chemin parcouru et de confirmer ses choix et sa résolution.
Alors qu’auparavant, il s’épuisait à la tâche jusqu’à douze heures par jour et essayait de tout oublier lorsqu’il ne travaillait pas, il commença à prendre du temps pour ses recherches personnelles. Il rencontra des recruteurs et, sachant parfaitement qui il voulait être, il était beaucoup plus convaincant et performant lors de ces entretiens. Il avait retrouvé le charisme des gens qui ont une bonne image d’eux-mêmes.
Quatre mois plus tard, il sut saisir sa chance et partit travailler pour un réseau de distribution résolument tourné vers le commerce équitable dont il prit la direction des achats.
Bien-sûr, il avait encore des moments de doute mais ses inquiétudes étaient des alertes salutaires et non plus des remises en cause douloureuses. Il apprit à être lui-même et à se faire confiance, quels que soient les aléas.
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