A 48 ans, Marie-Caroline se heurtait à une difficulté professionnelle face à laquelle elle se sentait démunie. Elle envisageait diverses solutions mais aucune ne lui paraissait être la bonne. Elle tournait en rond. Marie-Caroline avait fait une école de commerce. Entrée très jeune dans un groupe industriel, elle y avait fait preuve d’un grand professionnalisme et, encouragée par son patron, elle avait récemment complété sa formation par un MBA qui lui avait donné accès à des responsabilités beaucoup plus importantes. C’est à partir de ce moment-là qu’elle avait commencé à souffrir.
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Marie-Caroline avait un profil très marqué de leader. Elle était née pour agir de façon autonome, pour prendre des initiatives, pour ouvrir la voie et montrer le chemin aux autres. Elle faisait partie des gens qui ont une vision très claire et qui savent la mettre en action et la transmettre à leur entourage. Très créative, elle avait un talent inné d’entrepreneur.
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Marie-Caroline se savait autonome et créative. En revanche, elle ne pensait pas avoir de prédisposition au leadership alors même que c’était une dominante très forte chez elle. Pourquoi s’interdisait-elle de s’affirmer en tant que leader ?
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Nos talents innés déterminent notre potentiel. Le vécu de nos premières années en favorise plus ou moins l’épanouissement. Très souvent, les premières expériences sont douloureuses et poussent l’enfant à adopter une stratégie destinée à atténuer cette souffrance. Il atteint généralement son objectif au détriment de l’épanouissement de ses talents. C’est ce qui était arrivé à Marie-Caroline et c’est ce dont elle prit conscience lors de notre premier échange.
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Marie-Caroline avait eu une mère très autoritaire. Pour se mettre à l’abri de son agressivité plus qu’excessive, mais aussi pour tenter de se faire aimer d’elle, Marie-Caroline avait adopté la stratégie de la petite fille modèle. « Je fais tout ce que tu me dis de faire pour te plaire et pour que tu m’aimes ». La contrainte avait été forte mais Marie-Caroline était une personne très déterminée. Elle avait su grandir à l’intérieur des étroites limites imposées par sa mère en faisant de son mieux pour éviter les conflits.
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En acceptant un poste important dans le groupe qui l’employait depuis plus de vingt ans, Marie-Caroline était sortie des limites qui la protégeaient des conflits. Encouragée par ses proches et son patron qui reconnaissait ses talents de leader, même si ceux-ci n’avaient pas encore été vraiment sollicités, elle se retrouvait dans une zone très inconfortable : beaucoup plus de responsabilités, beaucoup plus de pression et de nombreuses occasions d’être en conflit avec d’autres dirigeants du groupe. Marie-Caroline supportait très mal les agressions qui la replongeaient systématiquement dans ses douleurs d’enfant. Au lieu de se battre, elle encaissait en silence, mais son corps avait commencé à lui envoyer des messages très clairs : crampes d’estomac, maux de tête, entorses. Marie-Caroline se cramponnait : la petite fille modèle tentait de faire ce qu’on attendait d’elle mais l’adulte somatisait. Les occasions de souffrir ne manquaient pas.
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Son nouveau patron était très autoritaire et envahissant: il n’hésitait pas à réduire Marie-Caroline au silence lors de réunions importantes. Il alla même un jour jusqu’à lui donner un coup de pied sous la table pour la faire taire. Marie-Caroline voulait se rebeller mais la petite fille en elle avait peur et ne voulait pas renoncer à sa stratégie de la petite fille modèle. Lorsqu’elle essayait de faire valoir son point de vue, elle peinait à exprimer son ressenti. Elle parvenait à faire passer quelques messages mais elle était loin de dire ce qu’elle ressentait vraiment. Elle envisageait de changer de poste pour se mettre hors de portée des coups mais elle savait, au fond d’elle-même, qu’elle était faite pour ce job, qu’elle en avait les capacités, qu’il était la voie de son épanouissement. Elle était déchirée entre le besoin de développer ses talents et l’envie de retourner dans une zone moins exposée. Comment pouvait-elle déployer ses ailes sans souffrir ? Qui Marie-Caroline pouvait-elle être pour y parvenir ? Comment cesser d’être paralysée par les agressions ? Sur quelle partie de son potentiel inné pouvait-elle s’appuyer ?
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Marie-Caroline se rendit compte que les évènements qui la perturbaient tant, n’étaient jamais dramatiques. Elle n’était jamais en danger. Son plus grand risque serait de perdre son job, mais elle savait qu’il n’en était pas question. Si la petite fille en elle continuait à avoir peur des conflits, l’adulte pouvait facilement la rassurer : le danger n’était pas réel et elle n’avait pas besoin d’être aimée par tout le monde. Marie-Caroline réalisa qu’elle pouvait prendre du recul par rapport à ces situations malheureusement banales en entreprise. Elle était suffisamment autonome, c’était même un de ses plus grands talents : l’autonomie, le leadership, la capacité à s’autodéterminer. Elle comprit qu’elle pouvait faire confiance à ce talent. Elle pouvait prendre la petite fille modèle par la main et l’emmener vers des territoires inconnus. Sa force de caractère et sa créativité lui permettraient de trouver la solution à chaque problème, en temps utile. Elle pouvait se libérer de la stratégie de l’enfant et elle décida de s’en détacher. Elle sentit que cela lui permettait de respirer mieux, d’être sûre d’elle, de se libérer du regard des autres, du besoin d’être aimée d’eux. « Détachée », elle pouvait prendre du recul, elle pouvait même s’amuser des gesticulations inoffensives de ses agresseurs. « Détachée », elle était en position d’observation et captait quantité d’informations utiles qui la rendaient plus efficace. « Détachée », elle pouvait prendre de la hauteur et être réellement le leader créatif qu’elle était de façon innée. Marie-Caroline décida donc d’ « être détachée ». Son intelligence émotionnelle lui fit sentir que si elle était détachée, tout serait beaucoup plus facile, elle serait pleinement elle-même dans les situations professionnelles conflictuelles.
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A la fin de notre première rencontre, je recommandais à Marie-Caroline de s’observer chaque jour et de ne pas essayer de changer son comportement. S’observer pour voir si ce qu’elle ferait, dirait, penserait, allait lui permettre d’être la personne détachée qu’elle voulait être. Cette simple observation bienveillante, lui assurai-je, allait lui permettre de conforter sa prise de conscience et les changements souhaités se produiraient d’eux-mêmes et sans efforts, car ils iraient dans le sens de sa nature profonde.
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C’est ce qu’elle fit. Chaque soir, elle revoyait les moments forts de sa journée et prenait conscience de sa capacité à être de plus en plus détachée. Ce faisant, elle était de plus en plus objective et efficace. Elle n’était plus surprise ou dépassée par ses émotions. Lorsqu’une agression la faisait réagir, elle était progressivement capable de voir l’émotion du moment et de la laisser passer, sans être perturbée ou détournée de ses objectifs. Lorsqu’elle se préparait à participer à une réunion qu’elle savait difficile, elle prenait cinq minutes pour se détendre et se replonger dans l’état émotionnel de la personne détachée qu’elle avait choisi d’être.
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Les changements dans son comportement furent rapides et perceptibles. Bien sûr, certains jours étaient meilleurs que d’autres mais elle ne fut plus jamais handicapée par les crampes d’estomac et les maux de tête. Elle était capable de dire à ses agresseurs ce qu’elle pensait de leur comportement, d’une manière telle qu’ils se sentaient compris et en tenaient compte. Ses relations dans le groupe en furent nettement améliorées. Son aisance impressionnait. Elle était beaucoup plus écoutée et soutenue. Elle exerçait le leadership auquel ses talents naturels la prédisposaient totalement.
Moins d'un an plus tard, le président du groupe confia à Marie-Caroline un autre poste qui lui permit d'exercer encore mieux ses talents de leader. Elle était de plus en plus épanouie et bien loin de la petite fille modèle.